Nati per leggere et Buchstart

Nati per leggere et Buchstart

Maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Tours et spécialiste de littérature jeunesse, Cécile Boulaire est revenue sur l’histoire des programmes de sensibilisation à la lecture aux très jeunes enfants. En 1982, l’association ACCES est créée en France autour des psychiatres Diatkine, Lainé et Bonnafé, et commence à mener un travail pionnier de réflexion sur l’importance de la lecture individuelle aux tout-petits. En 1989, le programme Reach Out and Read est lancé à Boston à l’initiative d’un groupe de pédiatres notamment composé de Barry Zuckerman : de la corrélation dressée par ce dernier entre les enfants issus de familles défavorisées qu’il soigne et les phénomènes de reproduction sociale qui mènent ces enfants vers les difficultés économiques et culturelles de leurs parents, apparaît l’idée du dispositif : distribuer des livres lors des consultations médicales et pédiatriques et mettre en place une médiation auprès des parents.

Ce programme rayonne aujourd’hui sur l’ensemble du territoire américain et s’est rapidement déployé dans le monde. En 1992, le programme Bookstart est mis en place au Royaume-Uni. Et les initiatives essaiment ensuite en Europe : Nati per leggere en Italie (1999), Nascuts per Llegir en Catalogne (2002), Boekstart.be en Flandre (2005), Buchstart à Hambourg (2007), BoekStart aux Pays-Bas et Né pour lire/Buchstart/Nati per Leggere en Suisse (2008), Bogstart au Danemark, BokStart en Norvège ou Premières Pages en France (2009). Chaque programme s’adapte à la structure institutionnelle du pays et à ses spécificités locales. Nati per leggere et Buchstart offrent des exemples de programmes visant les mêmes fins que Premières Pages mais déployant différemment leurs logiques d’action.

 

Zoom sur Nati per leggere (Né pour lire) et l’expérience italienne : Le programme Nati per leggere a été créé en 1999 à l’initiative du Centre pour la santé de l’enfant (Centro per la Salute del Bambino), de l’association des pédiatres (ACP) et de l’association italienne des bibliothèques (AIB), lesquels étaient tous convaincus de l’importance de la lecture précoce et partagée en famille. Il s’articule parallèlement au programme Nati per la musica (Né pour la musique). L’objectif était de rallier les professionnels de la petite enfance et de sensibiliser les parents à l’importance des bienfaits du livre, de la lecture, de l’écoute et de la musique pour leurs enfants.

Des questionnaires sur les habitudes de lecture des familles, remis dans différentes structures au niveau national, mesurent l’impact et l’efficacité du dispositif. Alors qu’en 2000 seules 16,4% des familles avaient l’habitude de lire en famille régulièrement, c’était le cas de 38,9% des familles en 2019. En 2000, 45,9% des enfants ne s’étaient jamais vus lire de livre ; ils n’étaient plus que 10,9% en 2019.

L’organisation de Nati per leggere : Le programme est articulé à trois échelles :

  •  Au niveau national, la coordination est assurée par les représentants des trois différents organismes à l’initiative du programme – à savoir le Centre pour la santé de l’enfant, l’association des pédiatres et l’association italienne des bibliothèques.
  • Au niveau régional, des référents locaux s’articulent en des structures informelles.
  • Au niveau local, des relais sont animés par des référents volontaires (qu’ils soient professionnels ou bénévoles) dans les bibliothèques, les plannings familiaux, les associations…

S’ajoutent à cela un secrétariat national, qui existe depuis 2009, un groupe de formateurs et un observatoire éditorial sélectionnant la bibliographie nationale de Nati per leggere.

Le dispositif mobilise différents acteurs :

  • Il entend d’une part associer tous les professionnels qui s’occupent de la petite enfance : bibliothécaires, pédiatres, éducateurs, infirmiers, sages-femmes, professionnels des services de santé, psychologues, neuropsychiatres…
  • Une contribution spéciale est également demandée aux bénévoles, « aucun professionnel n’étant en mesure de faire ce que nous sommes capables de faire tous ensemble », selon Giovanna Malgaroli, secrétaire nationale du programme.
  • Les familles sont enfin inclues dans le dispositif – une attention particulière étant portée aux familles les plus fragiles et éloignées de l’activité de lecture.

Des formations croisées sont en outre organisées. Des modules de 12 heures sont destinés aux bénévoles, des modules de 16 heures aux professionnels et des modules introductifs de 4 heures pour toutes les personnes intéressées, qu’ils soient parents, élus locaux…

Les financements : Aucun financement stable du programme n’est assuré au niveau national. Les sources de financement dépendent ainsi du Centre pour le livre et pour la lecture. C’est la raison pour laquelle le don de livres systématique ne peut être un mode de fonctionnement envisagé dans le cadre de Nati per leggere. Depuis 2014, les éditeurs italiens ont toutefois accepté de mettre à disposition du dispositif des livres pour le prix modique de 3 à 3€50.

Les interventions concrètes de Nati per leggere : Nati per leggere se déploie avant même la naissance de l’enfant par le biais de sessions de préparation à la naissance dans les maternités, les cabinets de pédiatrie, les hôpitaux, les centres de vaccination ou les plannings familiaux. En outre, une bibliographie nationale est produite tous les trois ans et oriente les choix de lecture des parents ou les achats des bibliothèques. Pour Giovanna Malgaroli, « moins il y a de livres, mieux c’est » : l’idée portée par le programme est qu’il est important d’avoir de beaux livres qui ne vieillissent pas et accompagnent plusieurs générations d’enfants consécutives. Une bibliographie a également été mise en place pour les familles non-italiennes. Dénommée « Mamma Lingua », elle contient les références de littérature jeunesse dans les langues d’immigration parlées dans le pays : albanais, allemand, chinois, français...

 

Zoom sur Buchstart dans la ville de Hambourg : Buchstart est un projet original en qu’il concerne seulement la ville (et le Land) Hambourg, et non l’Allemagne entière. Le dispositif a été déployé en 2007 par Seiten Einsteiger, association à but non lucratif dédiée à la promotion de la lecture. La devise de Buchstart est la suivante : « Des livres pour toutes et tous, à partir de la naissance ». L’idée est de donner des livres à chaque enfant, quel que soit le niveau d’éducation ou de revenus de ses parents, afin de favoriser une égalité et de soutenir toutes les familles. L’originalité et la force du projet résident dans le fait qu’il associe l’ensemble des pédiatres exerçant à Hambourg et qu’il insère la distribution de livres et de messages sur la lecture dans le parcours de santé obligatoire des très jeunes enfants.

Hambourg est une ville aux grandes disparités sociales : alors qu’elle abrite 42 000 millionnaires sur un million et demi d’habitants, 20% des enfants de moins de 15 ans vivent dans la pauvreté et 15% des Hambourgeois sont en situation d’illettrisme.

Le fonctionnement concret du dispositif : Buchstart se décline en deux volets consistant en la distribution de sacs à livres à deux reprises dans la vie des enfants : Buchstart 1 et Buchstart 4½.

  • Buchstart 1 : Lancé en 2007 après deux ans de discussions et de tables rondes, le projet consiste en la distribution aux familles d’un sac contenant deux livres, aux titres changeant chaque année, une brochure à destination des parents et un bon d’accès gratuit aux bibliothèques publiques de la ville. Depuis le lancement de l’opération, 250 000 sacs ont été distribués. Les 150 pédiatres de Hambourg participent au projet et reçoivent un carton de sacs tous les trois mois. Sous leurs conseils, il a été décidé que la distribution s’opérerait durant la visite médicale obligatoire advenant au dixième mois de l’enfant, âge jugé propice à l’éveil au livre. Ainsi, 95% des enfants hambourgeois reçoivent le sac. Sur les 20 000 bons d’accès gratuit aux bibliothèques, seuls 1000 bons sont toutefois utilisés.
    Par ailleurs, Buchstart promeut chaque semaine l’organisation d’ateliers chansons, livres et jeux de doigts à destination des 0-3 ans. En 2019, il existait 80 groupes d’ateliers dans neuf langues différentes. Des formations sont par ailleurs organisées chaque année à destination des animatrices. 600 d’entre elles ont été formées en quinze ans. Une « fête des tout-petits » est enfin organisée chaque année. Le projet, à hauteur de 220 000€ par an, est majoritairement financé par le service social de Hambourg et par des partenaires de l’édition et des bibliothèques.
     
  • Buchstart 4 ½ : Depuis 2020, la campagne Buchstart 1 a été élargie à des enfants un peu plus grands en passe d’entrer à l’école. A quatre ans et demi, les enfants vivent en Allemagne leur dernière année avant scolarisation. Ils sont reçus à cet occasion pour un entretien obligatoire qui constitue pour chacun d’entre eux une forme d’examen d’entrée à l’école : c’est au cours de cet entretien qu’un sac à dos contenant le « Livre d’histoires de Hambourg » et un bon d’accès gratuit aux bibliothèques leur est distribué. Ce livre de 140 pages a vocation à accompagner les enfants jusqu’au début de leur scolarisation. Il comprend des histoires à lire à voix haute, des poèmes ou des bandes à remplir de difficulté et de longueur diverses.
    Une journée annuelle est en outre organisée dans les écoles maternelles et les garderies avec l’objectif de faire travailler les enfants avec le livre offert dans le cadre du dispositif. Le projet, à hauteur de 230 000€ par an, est financé par le service social et le service de l’éducation et de la formation professionnelle de Hambourg ainsi que par des fondations.

Buchstart repose, selon Annette Huber, sa responsable sur un « triangle magique » dont les angles sont composés d’un adulte qui maîtrise la langue, d’un enfant qui apprend le langage et d’un livre. Ce livre crée le début d’une communication et aide à transmettre l’apprentissage de la lecture.

 

Les expériences italiennes et allemandes offrent ainsi des expériences aux objectifs similaires à Premières Pages, mais structurées différemment. Elles ouvrent le regard vers des dispositifs ambitieux et riches d’enseignements pour améliorer sans cesse nos dispositifs d’accès au livre et à la lecture pour les tout-petits.

Pour aller plus loin :

De Cécile Boulaire :
« Que disent les spécialistes sur l’effet de la lecture aux bébés ? » : https://album50.hypotheses.org/5214 ; « Bookstart Around the World : comment évaluer un programme de distribution de livres aux bébés sans jamais parler des livres pour bébés … ? » : https://album50.hypotheses.org/4675 ; « Lire aux bébés, pourquoi des particularités françaises ? » : https://album50.hypotheses.org/4152 ; « Qu’est-ce qu’on attend pour lire aux bébés ? » : https://album50.hypotheses.org/3523

Sur Buchstart Hamburg : https://buchstart-hamburg.de/

Sur Nati per leggere : https://www.natiperleggere.it/